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Incipit

Jeudi 17 juillet 2014 4 17 /07 /Juil /2014 20:01

 



Le postier
Charles Bukowski



Ça a commencé par erreur.

C'étaient les fêtes de noël
et j'avais appris par le pochard en haut de la côte,
qui faisait le coup à chaque noël,
qu'ils embaucheraient carrément n'importe qui,
alors j'y suis allé et sans avoir le temps de réaliser
je me suis retrouvé avec une sacoche en cuir sur le dos
à cavaler comme bon me semblait.
Parlez d'un boulot, que je pensais.
Peinard !
Ils vous donnaient juste un ou deux pâtés de maison à faire
et si vous arriviez à finir,
le facteur titulaire vous en donnait un autre à distribuer,
ou alors vous pouviez rentrer et le chef vous en donnait un autre,
mais surtout vous preniez bien votre temps
pour fourrer ces cartes de noël dans les fentes.

Je crois que j'en étais à mon second jour comme intérimaire de noël
quand cette grosse bonne femme est sortie
et s'est mise à marcher avec moi pendant que je distribuais les lettres.
Ce que je veux dire par grosse
c'est qu'elle avait un gros cul, des gros nichons
et qu'elle était grosse à tous les endroits qu'il fallait.
Elle avait l'air un brin toquée
mais je continuais de regarder son corps et je m'en foutais.

Elle causait et causait et causait.
Ensuite elle l'a quand même sorti.
Son mari était officier sur une île lointaine et elle se faisait seule,
vous savez ce que c'est,
et elle habitait tout seule dans cette petite maison là-derrière.

" Quelle petite maison? " j'ai demandé.

Elle m'a écrit l'adresse sur un bout de papier.

" Moi aussi je me sens seul ", j'ai fait,
" je passerai ce soir et on causera ".


***

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" Et c'est pas fini "
– La p'tite dame katgé de SFR –

" Parce que je n'ai pas réussi à éliminer le premier bien que ma préférence aille au second "
– B[LUDO]G –





Women
Charles Bukowski


J'avais cinquante ans
et n'avais pas couché avec une femme depuis quatre ans.
Je n'avais pas d'amies femmes
Je les regardais quand j'en croisais une dans la rue ou ailleurs,
mais je les regardais sans désir,
avec une impression de futilité.
Je me masturbais régulièrement,
mais l'idée d'entretenir une relation avec une femme
– même sans rapports sexuels –
dépassait mon imagination.
J'avais une petite fille de six ans, née hors mariage.
Elle vivait avec sa mère, à qui je versais une pension alimentaire.
Je m'étais marié des années auparavant, à trente-cinq ans.
Mon mariage avait duré deux ans et demi.
C'est ma femme qui avait demandé le divorce.
Je n'avais été amoureux qu'une seule fois.
Elle était morte d'une cirrhose.
Morte à quarante-huit ans
alors que j'en avais trente-huit.
Ma femme avait douze ans de moins que moi.
Je pense qu'elle aussi est morte maintenant,
mais je n'en suis pas sûr.
Pendant les six années qui ont suivi le divorce,
elle m'a écrit une longue lettre à chaque noël.
Je ne lui ai jamais répondu...

Je ne me souviens plus très bien
quand je vis Lydia Vance pour la première fois.
C'était il y a six ans environ,
je venais de plaquer mon boulot de postier,
que j'exerçais depuis douze ans,
pour essayer de devenir écrivain.
J'étais terrifié et buvais plus que jamais.
Je me battais avec mon premier roman.
Chaque nuit, en écrivant,
je descendais une demi bouteille de whisky
et deux packs de six bières.
Je fumais des cigares bon marché,
tapais à la machine,
picolais et écoutais de la musique classique à la radio jusqu'à l'aube.
Je m'étais fixé un objectif de dix pages par nuit,
mais je ne savais jamais avant le lendemain
combien de pages j'avais noircies.
Au petit matin,
je me levais de ma chaise,
allais vomir,
puis retournais dans la pièce de devant
pour compter les pages étalées sur le divan.
Je dépassais toujours les dix.
Parfois il y en avait dix-sept, dix-huit, treize ou vingt-cinq.
Naturellement, il fallait dégrossir ou même jeter le travail de chaque nuit.
J'ai écrit mon premier roman en vingt-et-une nuits.


***

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Publié dans : Incipit
- Lire les 10 bafouilles
Vendredi 31 janvier 2014 5 31 /01 /Jan /2014 04:57

 



Les ritals
Cavanna



C'est un gosse qui parle.
Il a entre six et seize ans, ça dépend des fois.
Pas moins de six, pas plus de seize.
Des fois il parle au présent, et des fois au passé.
Des fois il parle au présent et il finit au passé, et des fois l'inverse.
C'est comme ça, la mémoire, ça va ça vient.
Ça rend pas la chose compliquée à lire, pas du tout,
mais j'ai pensé qu'il valait mieux vous dire avant.

C'est rien que du vrai.
Je veux dire, il n'y a rien d'inventé.
Ce gosse, c'est moi quand j'étais gosse,
avec mes exacts sentiments de ce temps-là.
Enfin, je crois.
Disons que c'est le gosse de ce temps-là
revécu par ce qu'il est aujourd'hui,
et qui ressent tellement fort l'instant qu'il revit
qu'il ne peut pas imaginer l'avoir vécu autrement.

***

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Publié dans : Incipit
- Lire les 1 bafouilles
Dimanche 3 novembre 2013 7 03 /11 /Nov /2013 05:55

 



Le passe-muraille
Marcel Aymé



Il y avait à Montmartre,
au troisième étage du 75 bis de la rue d'Orchampt,
un excellent homme nommé Dutilleul
qui possédait le don singulier de passer à travers les murs sans en être incommodé.
Il portait un binocle,
une petite barbiche noire
et il était employé de troisième classe au ministère de l'Enregistrement.
En hiver, il se rendait à son bureau par l'autobus
et à la belle saison, il faisait le trajet à pied, sous son chapeau melon.

Dutilleul venait d'entrer dans sa quarante-troisième année
lorsqu'il eut la révélation de son pouvoir.
Un soir,
une courte panne d'électricité l'ayant surpris
dans le vestibule de son petit appartement de célibataire,
il tâtonna un moment dans les ténèbres
et, le courant revenu,
se trouva sur le palier du troisième étage.
Comme sa porte d'entrée était fermée à clé de l'intérieur,
l'incident lui donna à réfléchir
et, malgré les remontrances de sa raison,
il se décida à rentrer chez lui comme il en était sorti,
en passant à travers la muraille.

***

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Petit PS:

Le 75 bis rue d'Orchampt n'existe pas, la rue n'étant pas assez longue.
Par contre il existe un 11 bis rue d'Orchampt...
où vécut et mourut Dalida.





Publié dans : Incipit
- Lire les 2 bafouilles
Jeudi 17 octobre 2013 4 17 /10 /Oct /2013 04:46

 



Les petits enfants du siècle
Christiane Rochefort



Je suis née des Allocations
et d'un jour férié dont la matinée s'étirait, bienheureuse,
au son de " Je t'aime Tu m'aimes "
joué à la trompette douce.
C'était le début de l'hiver,
il faisait bon dans le lit,
rien ne pressait.

À la mi-juillet mes parents se présentèrent à l'hôpital.
Ma mère avait les douleurs.
On l'examina et on lui dit que ce n'était pas encore le moment.
Ma mère insista qu'elle avait les douleurs.
Il s'en fallait de quinze bons jours, dit l'infirmière; qu'elle resserre sa gaine.

Mais est-ce qu'on ne pourrait pas déclarer tout de même
la naissance maintenant? demanda mon père.
Et on déclarerait quoi dit l'infirmière:
une fille, un garçon, ou un veau?
Nous fûmes renvoyés sèchement.

Zut dit mon père, c'est pas de veine,
à quinze jours on loupe la prime.
Il regarda le ventre de sa femme avec rancoeur.
On n'y pouvait rien.
On rentra en métro.
Il y avait des bals, mais on ne pouvait pas danser.

Je naquis le 2 août.
C'était ma date correcte puisque je résultais du pont de la Toussaint.
Mais l'impression demeura, que j'étais lambine.
En plus j'avais fait louper les vacances,
en retenant mes parents à Paris
pendant la fermeture de l'usine.
Je ne faisais pas les choses comme il faut.

J'étais pourtant, dans l'ensemble, en avance:
Patrick avait à peine pris ma place dans mon berceau
que je me montrais capable, en m'accrochant,
de quitter la pièce dès qu'il se mettait à brailler.
Au fond je peux dire que c'est Patrick qui m'a appris à marcher.

Quand les jumeaux,
après avoir longtemps été égarés dans divers hôpitaux,
nous furent finalement rendus
– du moins on pouvait supposer que c'était bien eux,
en tout cas c'était bien des jumeaux –
je m'habillais déjà toute seule
et je savais hisser sur la table
les couverts, le sel, le pain et le tube de moutarde,
reconnaître les serviettes dans les ronds.

" Et vivement que tu grandisses, disait ma mère,
que tu puisses m'aider un peu. " 

***

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